ARTICLE
Association Pisciculture et Développement Rural en Afrique tropicale humide 
(Organisation Non Gouvermentale) 
Ce papier a été présenté au colloque organisé par l'UNION Européenne à Lisbone dont le sujet était "Sustainable use of biodiversity", un atelier dans cette réunion devait permettre de réfléchir aux orientations à prendre pour le développement de la pisciculture dans les pays ACP.
 
 

 
 
   
 
 
 
 
 
 
 
 
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Small-scale aquaculture in Ivory Coast. Developping socially and ecologically sustainable aquaculture is it the same challenge than to use biodiversity sustainabily? 

Marc Oswald 1

 
1. Abstract  
2. Résumé  
3. Un cas d'agrosystème forestier subissant de profonds changements  
4. Utilité d'une pisciculture artisanale intégrée aux systèmes de production 
    4.1. Une demande forte pour la pisciculture  
    4.2. L'évolution des modèles développés dans le Centre-Ouest 
    4.3. Leur performance technique 
    4.4. Leur performance économique 
5. Une technique de production n'est durable qu'à la condition de répondre aux besoins 
    sociaux du système agraire 
6. Pisciculture intégrée dans le développement agricole  
7. Conclusion 

Bibliographie 
 

1. Abstract 

     This paper deals with the use of biodiversity to develop sustainable fish farming. The case study is a rainy-forest areas in Côte d'Ivoire where the agrosystem have undergone radical transformations since the boom of the cocoa-economy. The agricultural practices evolve, in particular, by adoption of material, all ready domesticated some where else, that is adapted to local social and environmental condition. In Africa, development of fish farming implies the construction of ponds which despite improving the sustainability of agriculture induce irreversible change of the environment. 
     Fish farming must be socially sustainable to prevent the development of undesirable and uncontrolled initiatives. Biodiversity encompasses natural biodiversity, researched by ecologists, and agricultural biodiversity, studied by agronomists. Agricultural development is interested by the latter one because it provides a range of species adapted by agrarian societies to specific environmental and social conditions, in peculiar those varieties which do not present major risks for the local environment. 

     
 2. Résumé  

     Ce papier traite de l'utilité de la biodiversité pour le développement de la pisciculture à travers le cas de la Côte d'Ivoire forestière. L'agrosystème de cette région a subi des transformations radicales depuis la mise en place de l'économie de plantation et est diffèrent de l'écosystème originel. L'évolution des pratiques agricoles montre que les innovations techniques se font par appropriation de matériels, déjà domestiqués ailleurs, puis par adaptation aux conditions locales (environnementales et sociales). En Afrique, le développement de la pisciculture passe aussi par l'aménagement d'étangs qui améliore durablement l'agriculture mais entraine une transformation irréversible du milieu. 
      La proposition d'une pisciculture socialement durable est un impératif auquel on ne peut échapper au risque de voir des tentatives indésirables et incontrôlables se développer. Cet impératif a peu fait l'objet d'études. La biodiversité regroupe celle du milieu naturel, étudiée par des écologistes, et celle agraire, étudiée par des agronomes. La deuxième intéresse le développement agricole, puisqu'elle dispose d'un éventail d'espèces adaptées par des sociétés agraires à des conditions environnementales et sociales particulières, au sein de cet éventail celles sans risques majeurs pour l'environnement local sont diffusables. 
      "L'utilisation durable de la biodiversité" a une consonance conservatrice. Le respect excessif de la biodiversité fige la société dans son état actuel puisque de nouveaux développements risquent de supprimer des ressources génétiques potentiellement utiles à la postérité. "Durable" signifie que la société génère des ressources suffisantes et recherche plus un équilibre qu'un développement. 
      Ce texte ne prétend pas argumenter en faveur de la préservation de la biodiversité et du nécessaire respect de l'environnement mais plutôt du caractère opérationnel de "l'utilisation durable de la biodiversité" pour le développement d'une pisciculture intégrée aux systèmes de production. La pisciculture est encore peu développée en Afrique, malgré une forte motivation des populations locales. L'exemple retenu est celui de la Côte d'Ivoire forestière. Nous considérons comme un fait acquis qu'une pisciculture doit s'intégrer aux systèmes de production pour participer au développement agricole. Ceci fait l'objet d'un relatif consensus (Espinoza, 1996). 
 

     
 3. Un cas d'agrosystème forestier subissant de profonds changements  

      La transformation de grands écosystèmes suite à un processus de développement agricole est un phénomène ancien (disparition des forêts tempérées au profit des champs, des forêts méditerranéenne au profit de la garrigue, Mazoyer et Roudart, 1997). Actuellement, au niveau planétaire, la destruction de forêts équatoriales est une transformation préoccupante qui a alerté la communauté internationale. La population des pays en voie de développement est majoritairement située dans ces zones et elle augmente rapidement (Losch 1996). 
      La durabilité de l'exploitation dans ces milieux semble souvent précaire, d'autant plus que ces agrosystèmes continuent de subir des transformations importantes. Après une phase de prospérité relative, la gestion de l'après-défrichement se pose dans des conditions plus difficiles. Les sociétés rurales ayant bénéficié des retombées de la déforestation sont alors plongées dans une certaine précarité dont les conséquences sont difficilement prévisibles. 

      La région forestière du Centre-Ouest de la Côte d'Ivoire est un bon exemple de pays ayant subi des transformations profondes et radicales qui sont d'abord la conséquence du développement agricole (celui de l'économie de plantation du cacao, en particulier). Certains agro-économistes ont étudié la dynamique des fronts pionniers cacaoyers qui s'orientaient selon la disponibilité de réserves forestières (Lena 1979, Ruf 1987). Ruf a même parlé de rente forestière, puis du difficile ajustement qui s'en suit une fois cette rente épuisée ("la malédiction des âges d'or", Ruf 1991). Cette déforestation s'est passée dans le Centre-Ouest entre les année 1965 et 1980 et les premiers effets du vieillissement des plantations ont commencé à se faire sentir à la fin des années 1990. 
      Le mouvement de colonisation agricole a coïncidé avec des transformations profondes de l'environnement liée à l'action anthropique dont les faits les plus marquants sont la déforestation et l'extension des plantations de cacao. Deux modifications sont révélatrices de l'ampleur des transformations produites. Une baisse de la pluviométrie (à Daloa elle est de 280 mm/an, voir figure en annexe) et la prolifération d'une plante adventice Chromolaena odorata d'origine sud-américaine qui en passant par le Sud-Est asiatique a envahi les friches dans les années 1970 et concurrence toutes les espèces végétales sur des friches âgées de deux à trois ans. La formation qui en découle est le fourré de Chromolaena, milieu moins riche que celui d'une forêt tropicale semi-décidue mais qui serait à l'origine de la réapparition de la forêt (Gautier, 1992). De plus, ce fourré de Chromolaena est beaucoup plus accessible à une exploitation manuelle et pour le moment plus apte à supporter une intensification de l'exploitation du milieu (Léonard et Oswald 1996) ; la progression démographique annuelle est supérieure à 3% dans ces régions. Cette formation écologique diffère beaucoup de la formation climacique originelle. Les céréales cultivées sont le riz et le maïs, quant aux tubercules, le manioc s'impose de plus en plus devant l'igname. Aucunes de ses plantes n'étaient présentes dans le milieu naturel. Récemment, le "cocoa-sié", une igname en provenance du Ghana via le Nigeria a fait son apparition. Elle est plantée dans les plantations de cacao et améliore l'autonomie vivrière des exploitations. C'est un exemple de plante, déjà domestiquée ailleurs, appropriée et adaptée par la société agraire locale aux conditions du milieu (Léonard et Oswald 1995). Cette nouvelle plante offre une réponse élégnate pour améliorer l'autonomie vivrière des planteurs de cacao. 
      Au cœur de ces tendances, l'intensification durable de l'exploitation de l'agrosystème est un thème pivot de la problématique du développement agricole; il se pose dans ces écosystèmes transformés et artificialisés, supportant généralement des densités humaines élevées (> 40 hab./km² et pouvant atteindre 100 hab./km²) (Oswald, 1997). Une part importante de cette intensification se fait en adaptant des espèces déjà domestiquées ailleurs. 

     

 4. Utilité d'une pisciculture artisanale intégrée aux systèmes de production 
 
4.1. Une demande forte pour la pisciculture  

      Dans les zones rurales, la motivation pour entreprendre la pisciculture est forte. Les raisons de cet engouement sont nombreuses. La région importe beaucoup de poisson congelé (20 000 t/an) et dans les campagnes, ce poisson est la première protéine consommée. De nombreux acteurs ont aussi incité les paysans à faire la pisciculture. La zone forestière qui présente une agriculture prospère (café, cacao, etc.), est dans son ensemble, déficitaire en protéines. Le milieu naturel est défavorable à l'élevage et aucune production animale ne s'y développe. 
      Des centaines de paysans, voire des milliers, ont essayé et essayent la pisciculture et échouent. Une revue faite en 1998 dans la région Sud-Ouest, une région voisine du Centre-Ouest, a révélé l'existence de dynamiques informelles d'initiatives en pisciculture (construction des étangs et essais de production). Plusieurs centaines d'étangs ont été construits dans les 3 années précédentes. Des entrepreneurs informels démarchent les planteurs et réalisent des constructions chères de mauvaise qualité et les approvisionnent en alevins d'Oreochromis niloticus (espèce non présente sur la zone). Ceci peut se faire avec l'aval de certains services d'encadrement qui n'hésitent pas à se faire rémunérer par les tâcherons ou par les pisciculteurs en fonction des services qu'ils rendent. Les modèles d'étangs et d'élevage proposés ne sont pas en mesure d'offrir un produit (du poisson) d'une qualité comparable et à un prix équivalent à celui qu'ils consomment. Partout les pisciculteurs abandonnent leur activité au delà d'un premier cycle de production ce qui aboutit à une impasse et tue cette dynamique de l'esprit d'initiative. La demande pour la pisciculture reste néanmoins réelle dans cette région. 

     
4.2. L'évolution des modèles développés dans le Centre-Ouest 
 
      Au début les modèles avait repris des normes établies ailleurs : 2 Oreochromis niloticus sexés/m² auquel on associe une polyculture d'Heterotis niloticus, d'Heterobranchus isopterus et un carnassier (Hemichromis fasciatus. ou Parachanna obscurus). Les deux premières espèces ne sont pas originaires des bassins fluviaux du Sassandra et Bandama, elles y ont été introduites par l'Etat en vue de développer les pêches, ce qui fut, sous cet angle, un succès puisque ces deux espèces constituent aujourd'hui la plus grande partie des captures (Satia et Bartley, 1998). Par contre, les carnassiers furent pêchés dans les cours d'eau environnants, les fingerlings d'Heterobranchus isopterus, requis pour la polyculture, sont majoritairement collectés dans le milieu naturel. 
      L'abondance de certains sous-produits (son de riz en particulier) permettait d'espérer un développement de la pisciculture avec des surfaces aménagées relativement petites (Copin et Oswald 1988). Cependant, les difficultés de transport rendaient ces modèles inaccessibles aux pisciculteurs ruraux. D'autres solutions ont alors été tentées : polyculture avec Sarotherodon galilaeus, avec Labeo coubie, des supports de type acadja, l'intégration d'élevage de lapins, etc.; malgré la forte motivation des pisciculteurs les résultats étaient bien en deçà des objectifs (Morissens et al 1993). 
      Le développement périurbain dépendait d'un effort d'encadrement élevé. Et, bien que les pisciculteurs soient autonomes pour mener leur pisciculture, ils avaient besoin du Projet Piscicole du centre-Ouest2 pour concevoir leurs étangs, acheter les filets ; des possibilités de crédits offertes par le projet augmentaient encore cette motivation. Au niveau sociologique, l'étroite relation qui se nouait entre les pisciculteurs et les encadreurs était souvent perçue comme une reconnaissance sociale, pouvant influencer les problèmes d'héritage ou de foncier. 
      Progressivement, ces modèles furent remis en cause, dans les milieux ne recevant pas d'intrant. Une baisse de la densité permettait en fait de retrouver de bonnes croissances et le rendement faible ne pouvait alors être compensé qu'en augmentant la surface afin de retrouver une valorisation correcte du travail. Simultanément, un nouveau modèle d'aménagement, les barrages-étangs avait été mis au point avec les paysans. Avec davantage de recul, cette remise en cause révéle que le modèle dispose de nombreuses économies d'échelles à condition de pouvoir jouer sur la surface d'eau en production (Oswald et al., 1997). 
      La recherche d'accompagnement technique de ce programme chercha dans la faune locale des poissons se nourrissant au niveau des maillons inférieurs de la chaîne trophique. Distichodus rostratus fut notamment essayé, mais les quelques exemplaires ramenés ne survécurent pas aux pêches de contrôle, Labéo coubie fut à nouveau envisager dans les milieux extensifs, sa croissance et son rendement faible restait décevant. Face à l'impasse trophique que constituait les macrophytes, la carpe chinoise, Ctenopharyngodon idella, fut essayée dans les étangs de pisciculture puisqu'elle ne pouvait théoriquement pas se reproduire. Les premiers essais ont montré que ce poisson, dans les milieux extensifs, avait un rendement comparable au tilapia qui est l'espèce la plus importante de la polyculture. La vulgarisation de cette carpe chinoise est encore en observation. La réflexion porte sur les moyens de la reproduire sans tomber dans le travers classique des stations étatiques. 
     
4.3. Leur performance technique 
       L'Oreochromis niloticus, d'un poids moyen de 300 à 350 g, représente 70 à 80 % du rendement et les rendements s'échelonnent de 1 à 10 tonnes. Les performances techniques moyenne varient fortement selon le type de milieu, la polyculture représente 20 à 30 % du rendement. Elles ont déjà fait l'objet de description détaillée. 

      Les aménagements piscicoles améliorent durablement l'agriculture notamment la culture de riz. Dans les barrages-étangs, de nombreux planteurs ont introduit spontanément une culture du riz. Lors de la vidange, ils repiquent ou sèment du riz sur l'assiette, puis remontent le niveau de l'eau à l'aide des planches du moine au fur et à mesure de la croissance de la plante. Ils empoissonnent alors leur barrage, puis récoltent le riz et inondent les résidus de la culture qui profitent aux poissons. C'est donc une authentique rizipisciculture qui est pratiquée. Le tiers des barrages ruraux était cultivé en riz au cours de l'année 1997 et les rendements de cette culture évoqués par les paysans, sont de l'ordre de 2 tonnes/ha. D'autre part, autour des périmètres rizicoles aménagés, la densification de fermes piscicoles augmente les interactions positives entre le riz irrigué et la pisciculture. Une étude a montré (Touré 1995) que dans le bas-fonds Gako en périphérie de Daloa les constructions piscicoles ont entraîné l'aménagement de 2 ha supplémentaires de casiers de riz et que le tiers de la surface de riz irriguée (6,3 ha sur 20 ha) est alimentée en eau grâce aux aménagements de pisciculture (canal d'alimentation et de vidange). 
 
4.4. Leur performance économique 

      Les performances des modèles intensifs offrent une productivité du travail de plus  de 2000 F/j et un coût de production de l'ordre de 100 F/kg. Pour les modèles extensifs, les enquêtes agro-économiques concluent à une marge brute par hectare de barrage tout à fait similaire à celle du cacao. Ce niveau est atteint après un à deux ans, temps nécessaire à la maîtrise de l’activité. La pisciculture n’a pas entraîné de mobilisation de main d’œuvre supplémentaire, donc augmente globalement la valorisation du travail au niveau de l’exploitation. Il s’agit dès lors  d’une intensification de l’utilisation de ces espaces. Les principaux atouts de cette production semblent être l’amélioration de la gestion de la trésorerie et la diminution des dépenses alimentaires (Glasser et al 1998). 

     
5. Une technique de production n'est durable qu'à la condition de répondre aux  
         besoins sociaux du système agraire 

         La diffusion de cette innovation peut-elle se comparer aux autres qui se sont produites dans le Centre-Ouest ? L'histoire agraire montre que les "systèmes traditionnels ont intégré de très nombreuses innovations, riz, café, cacao pour ne citer que les plus importantes. Pour le cacao, dans des contextes sociologiques différents la même innovation connaissait un essor important ou était rejetée, les raisons étant à rechercher au niveau de l'ensemble de la société (Chauveau 1994). Plus récemment, cet auteur a proposé le terme de "courtier du développement" pour permettre une meilleure analyse des processus d'innovations en identifiant les acteurs qui jouent un rôle essentiel dans ces processus. Une dynamique sociale accompagne toujours un développement, c'est à dire qu'à côté des aspects techniques, la société développe et génère ses propres rapports de production, ses modes de transmission du savoir-faire et du capital de connaissances, elle détermine une valeur à chaque étape du processus de production, etc. Ceci se passe à l'extérieur du cadre de projets. La pisciculture doit donc aussi être considérée comme une pratique sociale. Pour analyser son développement, il faut rechercher les indicateurs dans la société environnante qui permettent d'évaluer l'éventuel succès de l'innovation en cours. Pour cela, un recul historique reste un outil privilégié. 

      Les bonnes performances atteintes par les modèles proposés dans le Centre-Ouest et la forte motivation pour cette spéculation ont permis localement l'organisation de groupes de producteurs autour de l'aménagement ; ces groupes ont responsabilisé l'un des leurs pour le suivi des constructions. Ces derniers résultats permettent d'initier une dynamique de développement ne nécessitant aucune aide financière aux producteurs. Des diffusions spontanées d'une pisciculture économiquement viable s'observent, elles sont limitées à certains contextes sociologiques particuliers. Sur certains foyers, ce développement s'accompagne d'une augmentation des échanges entre fermes. En 1997, sur la seule ville de Daloa, les pisciculteurs vendirent entre eux 15 000 alevins O. niloticus sexés et 1400 alevins d'H. niloticus, (AFVP 1998). Ces résultats considérables signifient que l'on s'approche d'une durabilité sociale. Si l'ambitieux projet de greffer la pisciculture dans la dynamique agricole de la Côte d'Ivoire n'est pas encore atteint, les derniers résultats ne permettent pas de rejeter ce but. 

     
6. Pisciculture intégrée dans le développement agricole 

         Le développement de la pisciculture passe dans cette région par une artificialisation du milieu qui permet au paysan de bénéficier d'une production piscicole accrue grâce à une gestion d'écosystèmes aquatiques plus facile. En amont de l'aquaculture se pose la question de l'aménagement qui est factuellement une transformation irréversible du biotope originel. 

        Les étangs développés dans cette région présentent les avantages suivants : meilleure gestion de l'eau pour les cultures environnantes, mise en réserve d'eau utilisable par les paysans, préservation d'un certain environnement en améliorant les ressources hydriques, recyclage d'une partie de la fertilité. Ces avantages rappellent le bien fondé des aménagements hydroagricoles. 
       Ce cas de développement de la pisciculture artisanale en Côte d'Ivoire rappelle que les politiques volontaristes de développement, si elles sont bien conçues, restent opportunes. Durant une dizaine d'années, l'objectif poursuivi était de rendre cette pisciculture socialement durable. 
       Pourquoi une société génère-t-elle et développe-t-elle une dynamique d'aménagement et surtout de pisciculture ? La synthèse des disciplines socio-économiques, agronomiques et biologique est un excercice difficile. Leur coordination pose un problème majeur. L'une des entrées proposées pour résoudre ce problème est le concept de système agraire développé par Mazoyer (1985): "Un système agraire est d'abord un mode d'exploitation du milieu, historiquement constitué et durable, un système de forces de production (...), adapté aux conditions bioclimatiques d'un espace donné et répondant aux conditions et besoins sociaux du moment". Le système agraire consiste à analyser l'agriculture pratiquée en un lieu donné et à un moment donné. C'est un outil privilégié conçu pour comprendre le développement agricole. Il est décomposé en deux sous systèmes principaux : "l'écosystème cultivé" et "le système social productif ", les deux sous-systèmes devant être étudiés sur le plan de l'organisation, du fonctionnement ainsi que de leurs interrelations (Mazoyer et Roudart, 1997). 

     
7. Conclusion 

         L'utilisation durable de la biodiversité pour développer la pisciculture, se pose dans un décor mouvant, subissant à tous les niveaux de profondes mutations (environementales et sociales). Une quelconque solution n'aura de chance d'avoir un impact que si elle est l'objet d'une dynamique sociale porteuse ou si, en d'autre terme, elle est portée au niveau régional par l'histoire du développement agricole. Ceci sous-entend qu'il y a des conditions humaines, économiques et sociales exigeantes, déterminées par le contexte local ; ces conditions se résument à la dynamique du système agraire. Se mettre en marge de ces conditions est irréaliste. 

       Selon la FAO (1997), le nombre d'espèces aquacoles représentant l'essentiel de la production va en diminuant, cette évolution est d'ailleurs similaires pour les céréales. La question qui reste ouverte, pose le  problème de la domestication dans les milieux artificialisés (les étangs, les casiers de riz inondé). L'histoire mondiale de l'agriculture rappelle que peu d'espèces sont élues au rang mondial. 
       Par contre, pour répondre à un moment donné aux besoins des sociétés agraires, un nombre limité d'espèces domestiquées a fait l'objet d'un développement d'un grand nombre de variétés, les cultivars, qui constituent elles-même une importante diversité. Chaque société agraire a besoin de variétés adaptées à son environnement (fertilité des terres cultivées, conditions climatiques et autres), à ses besoins sociaux (pratiques agricoles, goûts des consommateurs, etc...) et donc à son époque. Le développement des variétés locales est l'expression la plus noble du potentiel spécifique d'espèces poussées à leurs extrêmes, non plus ici sélectionnées dans une relation plurimillénaire entre l'environnement naturel et l'espèce en question, mais au cours d'époques plus courtes où une multitude de paysans souvent oubliés, négligés, travaillant dans l'anonymat des campagnes ont domestiqués des variétés en adéquation avec leurs besoins par une observation méticuleuse, une capacité de recherche et un savoir-faire. 

       Certaines sociétés asiatiques ont développés des agrosystèmes où la pisciculture joue un rôle majeur. L'exploitation de ces agrosystèmes offre des ressources stabilisées et permet d'accueillir des densités de l'ordre de 300 hab./km². Ceci est extrêmement élevé en terme d'agriculture durable. Ces agrosystèmes ne sont pas constitués par une exploitation des formations climaciques, mais sont  fortement anthropisés. Ils sont vraisemblablement très proches d'une authentique aquaculture biologique avec une empreinte écologique réduite (ecological foot-printing). 
       L'aquaculture telle qu'elle est pratiquée par les paysans africains avec un faible recours aux intrants et une trésorerie limitée, ne pose guère de problèmes environementaux.. 

       En Côte d'Ivoire, l'absence d'espèces aquacoles locales répondant aux besoins sociaux du développement agricole montre que le choix d'une pisciculture exclusivement basée sur la biodiversité du milieu naturel aurait pour inconvénient de se mettre en marge des possibilités offertes par un développement durable de la pisciculture dont les retombées sur l'exploitation du milieu seraient pourtant hautement bénéfiques. La tradition et le savoir faire en matière de pisciculture sont trop récents pour permettre en un temps acceptable une transformation des espèces autochtones en des variétés adaptées aux besoins des pisciculteurs. C'est pourquoi, dans ce contexte, il est préférable d'intégrer localement les espèces disposant de caractéristiques piscicoles favorables déjà retenues et acclimatées ailleurs, quitte à mettre les gardes-fous environementaux qui permettent de sauvegarder la faune autochtone locale d'une interférence avec les espèces cultivées. 
       Dans l'avenir, il est probable que peu d'espèces de poisson seront capables de jouer un rôle dans les étangs aussi important que le blé, le maïs et le riz pour les terres cultivables. Une vision mondiale de l'histoire de la pisciculture montre que certaines sociétés paysannes (particulièrement en Afrique et en Amérique du Sud) n'ont pas encore commencer à domestiquer et à adapter des espèces piscicoles répondant à leurs besoins. Que faire ? Interdire les transferts c'est à dire empêcher de nombreuses sociétés de développer une pisciculture rentable, ou laisser-faire au risque de voir les accidents écologiques se multiplier. L'absence de solution adaptée a pour conséquence d'augmenter la pression sur les dernières réserves forestières et même d'accroître les risques d'instabilités sociales dans les campagnes. Un développement organisé et cohérent permet une discussion qui n'est pas possible dans le cas de processus informels. La conscientisation des producteurs, à condition que l'on soit capable de répondre à leur demande est une des clefs de la protection des ressources génétiques dans leur ensemble. Une réponse peut passer par l'appropriation d'espèces domestiquées ailleurs, à adapter localement, présentant peu de risques écologiques. Un compromis doit être trouvé qui tient compte des besoins techniques et sociaux des producteurs et des risques pesant sur l'introduction d'une nouvelle espèce. Il n'est pas toujours possible de concilier la préservation de la biodiversité naturelle et le développement d'une exploitation durable qui réduit l'emprunte écologique et permet de répondre aux besoins des sociétés. 

       Dans le cadre du développement agricole de la pisciculture et tout particulièrement en Afrique, l'aspect durable d'un développement dans le cas d'économie paysanne, sous ses aspects écologiques et socio-économiques devrait faire l'objet d'un thème de recherche. Les principales étapes d'une telle démarche seraient:: 

  •  En préalable, situer l'action menée en pisciculture au sein de la dynamique du système agraire local. Sur chaque zone le système agraire fera l'objet d'une description rapide qui s'efforcera notamment de caractériser les différents types d'exploitants. Pour masquer l'effet du milieu naturel, les comparaisons seront menées deux à deux dans des formations écologiques les plus similaires possibles. Au sein de cet ensemble, les systèmes d'élevage piscicoles en place feront l'objet d'une étude agronomique.
  • ensuite, une étude plus fine de nature "anthropologie du développement" sera menée afin d'identifier les différents acteurs de la professionnalisation (tâcherons, producteurs, aménagistes, commerçants, services étatiques....) et de comprendre les motivations des catégories sociales qui s'investissent le plus dans cette professionnalisation.
  •  parallèllement, une attention particulière sera portée aux nouveaux rapports sociaux qui se mettent en place autour de l'activité piscicole (contrats sur le foncier, contrats de travail spécifique ou de formation, règles de gestion sur l'eau, etc).
  • enfin, les modèles ayant le plus de chances de se développer de façon durable seront évalués sous l'angle de la pérennité de l'utilisation des ressources qu'ils proposent, notamment leur utilisation de l'eau, de la matière organique et leur impact sur la biodiversité.
       Cette proposition scientifique, vise à l'organisation d'un groupe de recherche qui sélectionnera les diverses régions à étudier, les bibliographies correspondantes et se mettra en relation avec les différents partenaires intéressés par cette approche, capables de s'entendre sur les objets à étudier et les méthodes employées. 
     

Bibliographie
 
AFVP 1998 : Rapport d'activité du PPCO, année 97, 70 p, Direction de l'Aquaculture et des Pêches, Abidjan RCI. 
CHAUVEAU (J.P.) 1994. « Crises, innovations et reconversions: histoire comparée de la cacaoculture en Gold-Coast, au Nigeria et en Côte d’Ivoire (année 1890-1945), dans « crises et ajustements en Côte d’Ivoire, les dimensions sociales et culturelles », GIDIS-CI-ORSTOM, actes du colloque tenu à Bingerville du 30 nov. au 2 déc. 1992, p105-116. Centre ORSTOM de Petit-Bassam, Abidjan. 
COPIN (Y) et OSWALD (M), 1988: "la pisciculture semi-intensive du tilapia devient une réalité sociale et économique. Aqua revue 17: 15-21. 
FAO, 1997. "Review of the state of world aquaculture" FAO fisheries circular, n° 886, Rev 1. 
GAUTHIER (L.), 1992. "Contact forêt savane en Côte d'Ivoire centrale: rôle de Chromolaena odorata". King et Robinson dans la dynamique de la végétation. Thèse faculté des sciences. Université de Genève. 268p. 
GLASSER F., OSWALD M., BLE C., COULIBALY M., (1998). Mise en valeur des bas-fonds ivoiriens par l’aménagement de petit barrage à vocation piscicole. In Actes du 6ème atelier régional du Consortium Bas-Fonds, Bouaké, Côte d’Ivoire, 17-18 mars 1998, à paraitre. 
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1.  APDRA-F, 3 square Guimard, 78 960 Voisins le bretonneux, France, 

2. Projet mis en œuvre par l'AFVP (Association Française des volontaires du Progrès) 
        et principalement financé par le Ministère Français de la Coopération.